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Centre de Recherche et d'Etudes pour l'Art Préhistorique Emile Cartailhac

   

 

La grotte des Fraux (Dordogne)

     Découverte en 1989, à la suite de la vidange accidentelle d'un petit lac collinaire, la grotte des Fraux (Saint-Martin-de-Fressengeas, Dordogne) est un site exceptionnel de l'âge du Bronze qui recèle à la fois des vestiges archéologiques et des manifestations pariétales. Les conditions de fossilisation du site, suite à l'effondrement de son principal accès à la fin de l'Age du Bronze, ont permis aux sols de circulation, structures de combustion, structures architecturales, objets archéologiques et œuvres pariétales, de nous parvenir dans un état de conservation exceptionnel. Ils forment un tout indissociable.

     Par arrêté du 24 octobre 1995, la grotte des Fraux est inscrite au titre des Monuments historiques (n° notice : PA00135171, 1995). Plusieurs articles préliminaires lui ont été consacrés par N. Aujoulat et Chr. Chevillot (cf. bibliographie), mais l'étude a dû être mise en sommeil jusqu'en 2006 pour des raisons de sécurité. Depuis 2006, une équipe pluridisciplinaire dirigée par L. Carozza, chercheur CNRS à l'UMR 5602 GEODE (Toulouse) rassemble archéologues, archéomètres, archéozoologues, pariétalistes et environnementalistes autour d'un projet visant à appréhender la cavité comme un système complexe, non plus réduit à ses deux dimensions spatiales, verticales et horizontales, mais englobant également la dimension du temps, afin de démêler l'écheveau des données archéologiques et paléo-environnementales à l'aide des techniques de l'archéométrie et de la géochimie. Conçu comme une grotte laboratoire, le site est labellisé SEEG (Site d'Études en Écologie Globale) par l'Institut Écologie et Environnement du CNRS.

Sols et structures archéologiques

     Le réseau de la grotte des Fraux se développe à l'horizontale sur environ 1,2 km. Il est constitué d'un ensemble complexe de galeries étroites qui présentent une grande diversité de configurations. Pour faciliter le repérage dans l'espace et la division des zones à étudier, la topographie a été divisée en 25 secteurs. Les études se sont concentrées jusqu'à ce jour dans les secteurs 11, 13 et 18.

     Des mobiliers archéologiques semblent avoir été déposés de manière ostensible au milieu de chaos de blocs de grès détachés du plafond. Ces zones rocheuses s'opposent à des secteurs aux volumes plus restreints, aux sols argileux fortement colorés par les produits de combustion, sur lesquels apparaissent des vestiges de l'âge du Bronze. Certaines structures de combustion en cuvette, creusées dans l'argile, livrent en surface un remplissage de petits galets et de charbons de bois, témoins de l'exceptionnel état de conservation du gisement. Les premières observations ont permis d'identifier quatre types de vestiges :

  • des surfaces de circulation : en l'absence de sédimentation anthropique postérieure à l'âge du Bronze, les surfaces de circulation et espaces aménagés affleurent. Certaines zones présentent une forte densité de mobilier qui témoigne de l'importance de la fréquentation de la cavité.

  • des structures de combustion : certains feux ont été aménagés dans les parties les plus accessibles de la cavité, d'autres dans des secteurs plus reculés, au plafond bas, entraînant une altération des bancs de marne. Ailleurs, on observe sur les blocs de grès des zones rubéfiées caractérisées par une plus forte densité de charbons de bois et par l'altération des roches.

  • des trous de piquet : dans certains secteurs, où se concentrent les plus fortes marques de l'occupation, on observe la présence de trous de piquets qui se présentent sous la forme de négatifs circulaires de faible diamètre, dans le substratum argileux. L'un d'entre eux conserve un fragment de bois altéré, fiché dans le négatif.

  • des mises en scène : L'une des spécificités de la grotte des Fraux réside dans le dépôt de mobilier archéologique, disposé de manière ostentatoire, parfois en relation avec des manifestations pariétales, qui correspond vraisemblablement à une appropriation de l'espace. Ces mises en scène sont matérialisées la plupart du temps par des éléments céramiques complets ou fragmentés. Ponctuellement, des spéléothèmes ont été déplacés et mis en relation avec des panneaux ornés. L'étude de ces mises en scènes associant vestiges au sol (horizontal) et sur les parois (vertical) constitue une autre manière d'envisager la fonction des espaces (Carozza et al. 2009).

Premières datations de la grotte des Fraux

     Durant la campagne de 2008, plusieurs échantillons ont été prélevés en vue de datations radiocarbone. Un premier résultat concernant un charbon de bois prélevé dans la paroi de la galerie 9 vient de nous être transmis (figure n°1). Interprété comme un résidu carbonisé de dispositif d'éclairage (torche ?), cet élément se trouvait de manière indéniable en position primaire. La date obtenue se situe entre 1450 et 1290 bc (avec une probabilité de 95.4%). Cette plage de temps couvre la fin du Bronze moyen et les tout débuts du Bronze final, en conformité avec les données typo-chronologiques déduites de l'examen des mobiliers céramiques dont certains éléments sont attribuables à la fin du Bronze moyen, notamment les pièces appartenant au « groupe des Duffaits ».




Fig. 1 : Prélèvement d'un charbon de bois pour analyse 14C à l'intérieur d'un trou de torche
(secteur 9 de la grotte). Cliché A. Burens

Les manifestations pariétales

     Des manifestations anthropiques sont visibles sur les parois argileuses. Elles se développent dans plusieurs secteurs de la cavité comme l'ont montré les prospections effectuées en 2006. Un premier inventaire des types de représentations a mis en évidence deux grandes familles de motifs :

  • les plus nombreux peuvent être décrits comme des formes géométriques : croix, cercle, bandes de tracés digitaux parallèles, quadrillages, motif en Y, méandres, zigzags, angles et chevrons (figure 2), séries de lignes courtes, parallèles, motif en U, motifs scalariformes.


  • des motifs plus ou moins organisés dont l'identification iconographique reste délicate pour le moment. La récurrence de ces motifs sur d'autres panneaux permettra peut-être d'établir de nouveaux types dans la classification.

  •      La technique utilisée est majoritairement la gravure déclinée selon plusieurs modalités (tracés digités, incisions plus ou moins fines réalisées avec un outil) (figure 2). Une utilisation ponctuelle de pigments (noir ou argile) ou quelques impressions est également à noter.


    Fig.2 : Chevrons gravés, secteur 10.
    Cliché Bourrillon/Petrognani.
    Avec l'aimable autorisation du propriétaire M. E. Goinaud

         Depuis 2007, l'équipe scientifique s'est focalisée sur les secteurs 11-13 et en particulier sur l'étude du secteur 13 où sera tentée une synthèse exhaustive croisant les données acquises par les différentes interventions (archéologie, relevés pariétaux, 3D, topographie, étude archéométrique des foyers). En ce qui concerne l'art pariétal, le secteur 13 comporte neuf panneaux ornés qui se développent sur les deux parois avec une concentration autour du pilier central (figure 3). À partir du premier panneau de la paroi droite (PI-D), après quelques mètres sans manifestations pariétales, les zones ornées vont s'enchaîner et se charger en motifs organisés, à l'exception du panneau PIII-D.


    Fig.3 : Vue d'ensemble du Grand Panneau, secteur 13. Cliché A. Burens.
    Avec l'aimable autorisation du propriétaire M. E. Goinaud.

         Au-delà du panneau PV, deux ultimes panneaux ont été identifiés en 2007, en face de la grande jarre (PVI-D), à la bifurcation du secteur 18 (PVII-D). L'étude approfondie du panneau PVII-D, relativement isolé des précédents, a été réalisée en 2008.

         Ces graphismes ont un statut exceptionnel pour l'âge du Bronze car il n'existe pas, à notre connaissance, de sites présentant des motifs similaires. Malgré tout, les thèmes représentés font preuve d'une grande unité puisqu'ils se répètent le long d'une même paroi (exemple : les signes scalariformes, panneau PII-D, PIV-D et pilier-G) mais également d'une paroi à l'autre (ex : quadrillage, panneaux PV-D et PV-G), ce qui semble être un gage de leur contemporanéité.


    Techniques de relevé pariétal adaptées au contexte particulier de la grotte des Fraux

    (cf. http://champslibres.hypotheses.org/121)

         L'un des principaux objectifs de l'équipe archéologique de la grotte des Fraux est de croiser les approches et d'expérimenter des méthodes novatrices. L'opportunité rarissime de disposer, au sein d'un même gisement, d'artefacts et de structures domestiques fossilisées depuis l'âge du Bronze en relation avec une riche expression pariétale nécessitait la mise en place d'une réflexion méthodologique préalable ; en maintenant une relation étroite entre l'étude des graphismes pariétaux et celle du contexte archéologique sur les sols ou les fouilles, nous essayons, aujourd'hui, de caractériser des comportements et, à terme, d'en comprendre les motivations.

         C'est dans cet esprit que, dans un premier temps, nous avons choisi d'adapter la méthode de relevé «classique» des manifestations graphiques en opérant en cinq étapes : 1) prises de clichés ; 2) réalisation d'une mosaïque photographique ; 3) exécution du relevé en laboratoire ; 4) contrôle du relevé in situ (figs. 4 à 8) ; 5) traitement infographique. L'intérêt majeur de cette méthode que nous qualifions d'«intermédiaire» est un gain substantiel de temps, le travail de relevé étant effectué en grande partie à l'extérieur de la cavité.


    Fig. 4. Enregistrement dans des fiches de terrain normalisées des informations relatives aux figures et aux panneaux ornés. Cliché A. Burens

    Fig. 5. Création de la mosaïque photographique.
    Cliché A. Burens


    Fig. 6. Remontage de la mosaïque photographique et “premier” relevé des motifs. Cliché A. Burens

    Fig. 7. Vérification in situ du relevé réalisé en laboratoire. Cliché Bourrillon/Petrognani


    Fig. 8. Mosaïque photo et relevé d'un panneau après son traitement infographique (Secteur 13, panneau VII).
    Cliché et relevé Petrognani/Bourrillon. Avec l'aimable autorisation du propriétaire, M. E. Goinaud.


         Dans une seconde étape de notre réflexion sur l'adaptation des techniques d'enregistrement et de relevé des manifestations pariétales, nous travaillons avec l'équipe PAGE de l'INSA de Strasbourg chargée de l'acquisition 3D de la cavité, ainsi que, pour un secteur particulier de la cavité, avec le Cabinet d'Etude Perazio, spécialiste de l'acquisition 3D, qui a déjà l'expérience de collaborations avec des pariétalistes (Marsoulas, Chauvet). Cette méthode intervient dans l'étude des panneaux ornés à différents niveaux :

  • Géoréférencement des panneaux

  • Support technique au relevé (mosaïque photographique, orthoplan, prises de mesures sur la 3D, section des tracés)

  • Restitution des relevés sur la 3D, ce qui facilite alors la lecture des panneaux et de leur organisation au sein de la cavité

  • Contextualisation des manifestations pariétales par rapport aux données archéologiques. La réalisation conjointe des opérations archéologiques dans un même site constitue un moyen rare (pour un préhistorien pariétaliste) d'aborder simultanément in situ les différents témoins de production matérielle et de choix culturels d'un groupe humain.

  •      Nous espérons dans un proche avenir avoir la possibilité de ne travailler que par cette méthode, plus fiable et présentant de nombreux avantages (couplages des données de l'ensemble de la cavité dans un SIG ; absence de déformation des photographies ; coupes dans la paroi pour observer la profondeur des tracés ; prises de mesures...).

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         Pour des informations complémentaires sur les recherches conduites dans la grotte des Fraux depuis 2006, nous invitons les visiteurs intéressés à consulter le blog des Fraux.

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    Bibliographie

  • Aujoulat N. (2007). Découvertes d'art pariétal en Périgord. Les Fraux. Les Dossiers de l'Archéologie, n° 324-H, nov.-déc. 2007, pp. 4-6.
  • Aujoulat N., Chevillot C. (1989). Une découverte exceptionnelle : la grotte des Fraux à Saint-Martin-de-Fressengeas (Dordogne), Documents d'Archéologie Périgourdine, t.4, 1989, p.39-44, 2 fig.
  • Aujoulat N., Chevillot C. (1990). Survivances : la grotte des Fraux à Saint-Martin-de- Fressengeas (Dordogne), Archéologie des grottes ornées, Catalogue du colloque de Lascaux- Montignac, 1990, p.42-43, 1 fig.
  • Aujoulat N., Chevillot C. (1990). La grotte des Fraux (Saint-Martin-de-Fressengeas, Dordogne. Actes du colloque de Beynac, Le Bronze Atlantique, 10-14 septembre 1990, pp. 341-346. Aujoulat N., Chevillot C. (1991). Découverte : la grotte des Fraux en Périgord, Archéologia, n°264, janvier 1991, p. 20-25, 5 fig.
  • Aujoulat N., Chevillot C. (1991). Une découverte exceptionnelle à Saint-Martin-de-Fressengeas (Dordogne) : la grotte des Fraux. Bulletin de la Société Préhistorique Française, t. 88, 2, 1991, p. 40-43, 2 fig.
  • Aujoulat N., Chevillot C. (1991). La grotte des Fraux (Saint-Martin-de-Fressengeas, Dordogne). In: les actes du colloque du parc archéologique de Beynac, 1, (Chevillot, Coffin dirs.) L'âge du Bronze Atlantique. Ses faciès, de l'Écosse à l'Andalousie et leurs relations avec le bronze continental et la Méditerrannée, (10-14 sept 1990), Association des Musées du Sarladais, Beynac-et-Cazenac, 1991, p. 341-346.
  • Aujoulat N., Chevillot C. (1999). À propos de gravures pariétales de l'ge du Bronze enDordogne, Préhistoire du Sud-Ouest, n°6, 1999, 2, p. 175-187, 12 fig.
  • Carozza L., Burens-Carozza A., Billaud Y., Ferullo O., Bourrillon R., Petrognani S., Fritz C., Tosello G., Goinaud E., Goinaud M. (2009). L'horizontal et le vertical - L'âge du Bronze de la grotte des Fraux (Saint-Martin-de-Fressengeas - Dordogne) in: De Méditerrannée et d'ailleurs ... Mélanges offerts à Jean Guilaine, p. 159-172. (pdf)
  • Chevillot C. (1997). Bronze Age sculpted caves in the Périgord (Dordogne - France), Trace, n°9, oct.1997, (Résumés du 2e congrès international d'Art Rupestre, 2-5 octobre 1997, Boario Terme, Val Camonica, Italie), p. 18-19, 2 fig.
  • Chevillot C. (2001). Manifestations pariétales de l'ge du Bronze en Périgord (Dordogne - France), Secondo convegno internationale di Archeologia rupestre, “Archeologie e arte rupestre.
  • Chevillot C. (2007). Identité de tracés géométriques pariétaux de l'ge du Bronze du Périgord (Dordogne - France) et du Val Camonica (Lombardie - Italie), Actes du XXIe colloque de Spéléologie de Périgueux, juin 2006. 8 fig.
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