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LA GROTTE DU TUC D'AUDOUBERT (ARIEGE)
Découverte en 1912, la vaste caverne du Tuc d'Audoubert restait en grande partie inédite. À partir de 1992, une équipe dirigée par Robert Bégouën (Conservateur des Cavernes du Volp et membre du CREAP) et composée de Carole Fritz (CREAP), Gilles Tosello (CREAP), Jean Clottes (Inspecteur général honoraire du Patrimoine), François Faist, Andreas Pastoors (Musée de Neandertal, Allemagne), Sébastien Lacombe (Université de Berkeley, Californie et CREAP), Philippe Fosse (TRACES), François Bourges (Geoconseil, Saint-Girons) s'est consacrée à l'étude exhaustive de ce site majeur du Magdalénien moyen. Les travaux ont fait l'objet d'une monographie parue en 2009 (coédition Somogy éditions d'art / Association Louis Bégouën : cf. Cavernes du Volp et Editions Somogy).
Les cavernes du Volp
Les grottes d'Enlène, des Trois Frères et du Tuc d'Audoubert forment l'ensemble des Cavernes du Volp, sur la commune de Montesquieu-Avantès (Ariège), dans le piémont pyrénéen. Elles recèlent d'importants témoignages de la vie matérielle et surtout spirituelle des groupes de chasseurs collecteurs qui vivaient dans la région au Magdalénien moyen (vers 13 500 BP soit 11 500 avant J-C).
La caverne du Tuc d'Audoubert fut la première découverte par les trois fils du comte Bégouën et leur compagnon François Camel les 20 juillet et 10 octobre 1912, tandis que les Trois Frères l'était deux ans plus tard, le 20 juillet 1914 (fig. 1).
Dès la découverte, ces grottes ont bénéficié de facteurs favorables à leur étude et à leur conservation, notamment la famille des inventeurs. Sa culture humaniste lui permit de prendre aussitôt la mesure des évènements. Émile Cartailhac, professeur d'archéologie préhistorique à Toulouse, fut sollicité dès les premières heures. Ses conseils furent écoutés et une philosophie de la conservation fut élaborée écartant toute ouverture au public, réservant les visites aux seuls préhistoriens et réduisant les aménagements au minimum indispensable. Fait rarissime, surtout à l'époque, il fut aussi décidé de laisser en place la très grande majorité des silex et des ossements apportés ou déplacés par les Magdaléniens. |
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Une grotte, trois réseaux géologiques
Avec 640 m de longueur, le Tuc d'Audoubert est la plus profonde des trois cavernes du Volp. C'est aussi la seule à se développer sur trois niveaux géologiques (fig. 2). Le Réseau Inférieur correspond au cours souterrain actif du Volp et à sa résurgence, l'accès actuel à la grotte. A trois mètres au-dessus de la rivière, le Réseau Médian contient des vestiges d'occupations magdaléniennes, des aires d'habitat et dans leur environnement proche, de l'art pariétal et des objets fichés, dissimulés dans les fissures ou creux des parois (fig. 3). Le Réseau Supérieur, entièrement fossile, accessible par une cheminée de 12 m de haut, s'étend sur 500 m d'un parcours parfois difficile. L'habitat et les objets fichés sont absents des galeries supérieures. En revanche, l'art pariétal affiche une thématique originale dans la première partie du parcours, alors qu'il est fait défaut dans la seconde moitié, laissant la place aux traces, aux dessins et modelages sur les sols argileux, aux silex et ossements d'ours déplacés, utilisés ou abandonnés.
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C'est en 1992 que Robert Bégouën prit la décision de relancer la recherche au Tuc. Parallèlement aux relevés sur les parois et les sols, des sondages furent effectués dans le Réseau Médian afin de dater les aires d'occupation et d'en définir les contours.
Vivre dans la grotte
L'occupation préhistorique du Réseau Médian était connue depuis les fouilles Bégouën de 1914 qui avaient mis au jour un mobilier typique du Magdalénien moyen (fig. 4, contours découpés et fig. 5, isard gravé). Grâce à des sondages judicieusement choisis, les travaux récents ont précisé la répartition des diverses aires de séjours dans la grotte. La plus importante concentration se trouve au débouché de la Galerie du Bouquetin vers le Volp qui coule en contrebas. Une enceinte formée de blocs de concrétions et de planchers stalagmitiques dressés sur chant et calés délimite un espace de 18 m2, à l'écart du passage (fig. 6). La voûte basse ne permet pas de circuler debout. Ce lieu singulier a été une sorte de camp de base où des outils et armes de silex, des objets de parure en os furent élaborés autour d'un foyer, environné de gravures et peintures pariétales, de fragments d'os fichés profondément dans les parois. Au contraire, dans les deux autres salles, les activités étaient plus spécialisées.
La moyenne des 20 datations effectuées place l'occupation magdalénienne autour de 13 870 BP indiquant que les niveaux repérés à la fouille sont « contemporains », ou plutôt indiscernables à l'échelle sommaire du 14 C.
L'art sur les parois et les sols
Le corpus pariétal publié en 1958 a été largement enrichi puisque les seules entités graphiques (figures et signes) passent de 17 à 371, dont 103 animaux. Les trois-quarts des dessins sont des signes dont le type dominant est le claviforme (fig. 7a-7b), reproduit en séries alignées.
Le bison domine avec 41 spécimens, suivi du cheval (16). Vient ensuite une catégorie, celle des « monstres » ou créatures irréelles (9), qui constitue une originalité du site (fig. 8). Les autres espèces (bouquetin, renne, biche, lion, ours, serpent et humain) sont rares.
À cinq reprises, les bisons sont figurés en couples, à l'écart des autres figures, dans tous les secteurs de la grotte. On peut alors les considérer comme un thème spécifique du site.
Dans le Réseau Supérieur, un climat souterrain exceptionnel a conservé les traces les plus fragiles des ours des cavernes et des hommes. Tout au long de sa progression dans ces galeries profondes, le visiteur moderne suit littéralement à la trace les Magdaléniens qui ont escaladé, rampé, glissé, cassé des stalagmites pour se frayer un passage. Sur les vastes plages d'argile de certaines salles, leurs empreintes de pieds, de talons, de genoux sont bien visibles (fig. 9).
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Au fond de la grotte, dans la petite Salle des Talons, les Magdaléniens ont décidé de ne marcher que sur les talons, laissant ainsi 142 exemplaires. Avec leurs doigts, ils ont tracé sur le sol de longues lignes sinueuses et des séries de points qui forment une composition géométrique et aussi des signes claviformes, comme dans le Réseau Médian (fig. 10). Sur la droite de la salle, une fosse est creusée dont les dimensions sont compatibles avec le volume de matière nécessaire pour modeler le célèbre couple de bisons à 25 m de là.
Les Bisons d'Argile sont situés sur un léger promontoire, au centre de la dernière salle de la grotte, d'où ils sont très visibles. L'œuvre est spectaculaire et le réalisme tel qu'on identifie au premier coup d'œil le mâle suivant la femelle. Près du rocher gisait une statuette, ébauche de bison en argile et sur sa droite, une silhouette de bison profondément incisée et partiellement modelée sur le sol. Sur le rocher, une petite tête de bison est évoquée en quelques traits complétant un relief naturel (fig. 11). |
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Des pistes d'interprétation
En premier lieu, les Magdaléniens entraient dans la grotte lorsque le Volp était en basses eaux, remontant à pied sec de la résurgence jusqu'aux galeries du Réseau Médian où ils établissaient les campements (fig. 12). Les différences entre les deux réseaux paraissent à première vue importantes mais elles masquent une forte homogénéité de l'ensemble. Une continuité spatiale existe entre les deux réseaux, comme le prouvent les dessins dans la cheminée de communication. Ensuite, des thèmes semblables tels les couples de bisons, les signes claviformes... relient les secteurs les plus éloignés de ce labyrinthe souterrain (fig. 13).
L'abondance des traces n'est qu'apparente, si on la compare à l'immensité des galeries : une seule expédition conduisit sans doute une poignée d'hommes et de femmes à la Salle des Bisons d'Argile. L'incursion fut préparée par une brève reconnaissance des lieux, indispensable lorsqu'on s'aventure aussi loin. L'absence d'aire de séjour prolongé dans le Réseau Supérieur, due à l'éloignement de l'entrée et aux difficultés de circulation, implique que la logistique était assurée à partir d'autres foyers. Il devient alors plausible que les sculpteurs des Bisons d'argile et les chasseurs qui campaient en bas dans le Volp soient sinon les mêmes, du moins, des membres du même groupe. Les artistes avaient le soutien actif de la communauté. Si la fonction symbolique constituait la motivation principale de la présence magdalénienne, il fallait bien qu'une partie du groupe assurât la subsistance.
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Au Tuc d'Audoubert, comme dans d'autres grottes de la région, le Bison joue un rôle de premier plan : les Magdaléniens le traquaient pour s'en nourrir et le représentaient souvent sur des plaquettes, des os, des parois... avec une empathie qui reste sensible aujourd'hui. Contrairement à ce qu'on a parfois écrit, ces groupes de chasseurs avaient choisi pour porter leur imaginaire l'animal qui était aussi leur gibier favori.
Au Tuc, la structuration de l'espace et la nature des thèmes suggèrent que la grotte tenait une place symbolique prééminente, vraisemblablement féminine, comme cela a été proposé dans d'autres sites. L'investissement de l'espace souterrain jusque dans ses profondeurs les plus intimes, sous la forme d'os plantés dans des fissures ou de traits incisés au fond d'un diverticule, procède de la même idée. La présence d'un enfant au pied des bisons sculptés, l'un des faits les plus importants relevés dans la grotte, place le renouvellement des générations au cœur du sanctuaire. Le couple des Bisons d'Argile, celui qui marque l'ultime étape, n'est-il pas accompagné de deux autres spécimens à peine dégagés de la matière, symboles d'une progéniture en cours de naissance ?
L'opposition entre les animaux blessés ou tués et les images de fécondité met en lumière d'un côté, l'obligation de donner la mort pour vivre, de l'autre, la nécessité de la reproduction pour que le processus se perpétue. Les rites qui se déroulèrent dans la grande caverne, invoquaient sans doute ces deux principes antagonistes que les hommes tentaient de concilier.
Pour en savoir plus
BÉGOUËN Robert, FRITZ Carole, TOSELLO Gilles, CLOTTES Jean, PASTOORS Andreas, FAIST François (avec la collaboration de François Bourges, Philippe Fosse, Mathieu Langlais, Sébastien Lacombe) (2009). Le sanctuaire secret des Bisons. Il y a 14000 ans, dans la caverne du Tuc d'Audoubert... , Ed. d'art Somogy et Assoc. L. Bégouën, 416 p.
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